chapitre1c Les systèmes dynamiques non-linéaires (SDNL)

 

Il n'y a pas de définition unique et cohérente des systèmes complexes. Aussi, pour en présenter les principales propriétés, je vais partir d'un sous-ensemble de systèmes complexes, les systèmes dynamiques non-linéaires (SDNL) bien caractérisés et étudiés, à la fois par des mathématiciens et des physiciens. Ils en ont dégagé un certain nombre de propriétés caractéristiques qui se retrouvent dans les systèmes complexes en général (1).

Système signifie qu'on s'intéresse à une collection d'objets en interactions, prise dans son ensemble, à ses caractéristiques globales et à la nature des interactions entre ses composantes. En tant que tel, le système va donc aussi dépendre du point de vue qui pousse à regrouper telles ou telles composantes. Le système solaire comprend le Soleil et les planètes, mais la Terre est elle-même un système, ou un ensemble de systèmes. La démarche consiste d'abord à faire le relevé des objets du système et de leurs interactions, sous forme d'une carte, comme la carte routière reliant les villes d'une région, ou la carte du ciel, ou le graphe des régulations géniques (2). Le terme structure a parfois été utilisé en ce sens (3).

L'étude des systèmes dynamiques a en revanche pour objet de décrire les changements dans le temps et l'espace (transformations) de l'état des systèmes en fonction des causes de ces changements dans la mesure où ces causes sont justement les interactions entre les objets du système (causes internes). C'est là qu'interviennent les mathématiques lorsque l'évolution de systèmes dynamiques en fonction du temps peut être modélisée par des systèmes d'équations différentielles ordinaires. Le comportement de chaque variable du système est défini par sa tendance à tout moment (augmenter, diminuer, rester stable), en fonction de l'influence des autres variables du système. On résout mathématiquement un système dynamique si l'on peut retracer l'évolution de chaque variable en fonction du temps (ce qui s'appelle intégrer les équations différentielles). Très souvent, le système évolue au cours du temps vers sa solution, où les valeurs des variables ne changent plus. Cela peut signifier que le système a atteint un équilibre et ne bouge plus (comme le pendule arrivé en bout de course), mais cela signifie le plus souvent que toutes les transformations se compensent comme la célèbre baignoire qui se remplit à la même vitesse qu'elle se vide et dont le volume d'eau reste constant. On parle alors d'état stationnaire. Celui-ci peut être stable, comme dans le cas de la baignoire, ou instable comme le crayon que l'on pose sur sa pointe. On distingue les dynamiques linéaires, connues et étudiées depuis longtemps, et les dynamiques non-linéaires qui appartiennent aux systèmes complexes.

 

chapitre1c ETUDIER LES Systèmes dynamiques non-linéaires

Non-linéaire signifie que les interactions entre les objets qui composent le système (et qui sont donc les causes des transformations) sont telles qu'il n'existe ni proportionnalité des effets aux causes qui les sous-tendent ni additivité des causes sur ces effets. Des cas simples de non-linéarité se manifestent dans la vie de tous les jours dans le pot de confiture qui ne s'ouvre qu'après beaucoup d'efforts infructueux, mais qui s'ouvre alors d'un seul coup (effet de seuil), dans la mayonnaise qui prend d'un coup et non pas progressivement, dans les tourbillons, dans les ouragans, dans les embouteillages…

chapitre1cmultistationnarité

Comme la majorité des équations différentielles non-linéaires sont non intégrables, les ordinateurs offrent deux solutions. Ou bien on calcule numériquement les trajectoires (c'est-à-dire l'évolution de chaque variable au cours du temps) pas à pas sur ordinateur. Ou bien, on s'intéresse aux solutions vers lesquelles le système converge au bout d'un certain temps. Ainsi, à l'heure actuelle, on connaît bien les propriétés de nombreux systèmes d'équations différentielles non-linéaires et on a pu faire le bilan de ces comportements qui s'avèrent bizarres, dérangeants, contre-intuitifs (1), que les chercheurs appellent souvent non-triviaux et qui pourtant permettent de représenter de façon fiable les transformations de très nombreux systèmes dynamiques réels.

chapitre1c boucles de rétroaction positive

Il a été démontré que, pour qu'un système soit multistationnaire, il faut qu'il y ait une boucle de rétroaction positive entre certains de ses éléments. Cela signifie que certaines des interactions se bouclent sur elles-mêmes (boucle de rétroaction) de telle sorte que chacun des éléments de la boucle agisse in fine positivement sur soi-même (rétroaction positive).

chapitre1c Chaos déterministe

Le plus célèbre des comportements atypiques des sytèmes dynamiques non linéaires, sous forme de solutions non stationnaires, est le chaos déterministe. C'est le comportement découvert par Henri Poincaré étudiant l'effet de la Lune sur la rotation de la Terre autour du Soleil. Il a été le plus étudié, car il possède un très grand nombre de propriétés, dont je n'indiquerai ici que les plus importantes. Il se produit dans certains systèmes dynamiques non-linéaires, qui possèdent au moins 3 variables en interactions. Cette fois, le système oscille de façon irrégulière et ne reprends jamais deux fois exactement la même oscillation. Un tracé d'encéphalogramme donne une bonne idée de ce type de comportement. Si on simule sur ordinateur un systèmes d'équations différentielles dont la solution est chaotique, on peut recommencer la simulation autant de fois qu'on le veut.

chapitre1c Les bifurcations : exemple de la mayonnaise

Jusqu'à présent, nous avons vu uniquement l'influence réciproque des variables sur les transformations d'un système en fonction du temps. Mais un système existe dans un environnement qui peut influencer sa dynamique et sera représenté sous forme de paramètres (causes externes) constants dans les équations. Or ces paramètres peuvent aussi évoluer. Par exemple, la température est souvent un paramètre important des réactions chimiques ou biochimiques. Si un paramètre se met à évoluer le bon sens nous dira que le système va évoluer en proportion (les réactions chimiques se feront plus vite, si la température augmente). Dans beaucoup de cas c'est vrai. Mais avec ces diables de systèmes non-linéaires, on doit commencer à se méfier. Et on a raison !

chapitre1c auto-organisation et émergence

Il faut insister aussi sur le fait que les systèmes naturels, même à l'état stationnaire, ne sont généralement pas à l'équilibre. Par exemple les concentrations des différentes espèces chimiques confinées dans un volume peuvent parfaitement rester constantes alors qu'une multitude de réactions chimiques consomment ou produisent ces espèces qui, de plus, peuvent quitter ou au contraire gagner le volume au travers de la surface qui le délimite. Dans l'état stationnaire de non-équilibre tous les processus se compensent ; à l'équilibre ils sont tous, séparément, arrêtés. Ainsi un être vivant adulte, dont le poids et la forme ne changent pas, est dans un état stationnaire, l'équilibre n'est atteint qu'à la mort. Les comportements caractéristiques des systèmes dynamiques non-linéaires sont donc aussi ceux qu'étudie la dynamique des systèmes loin de l'équilibre, ou structures dissipatives que Prigogine a découvertes et popularisées et qui lui a permis d'importer la notion fondamentale de la flèche du temps (ou historicité) au sein même de la physique (1).