Non-linéaire signifie que les interactions entre les objets qui composent le système (et qui sont donc les causes des transformations) sont telles qu'il n'existe ni proportionnalité des effets aux causes qui les sous-tendent ni additivité des causes sur ces effets. Des cas simples de non-linéarité se manifestent dans la vie de tous les jours dans le pot de confiture qui ne s'ouvre qu'après beaucoup d'efforts infructueux, mais qui s'ouvre alors d'un seul coup (effet de seuil), dans la mayonnaise qui prend d'un coup et non pas progressivement, dans les tourbillons, dans les ouragans, dans les embouteillages…
Mais jusqu'à une date relativement récente, les dynamiques non-linéaires, (dans lesquelles au moins une des interactions est non-linéaire) étaient peu étudiées, car les mathématiques ne savent pas résoudre les équations différentielles qui les représentent. Plus exactement, la difficulté mathématique pour calculer la majorité des systèmes non-linéaires est telle, qu'elle n'a pu être résolue que depuis l'invention des ordinateurs. Ce n'est pas que les systèmes linéaires soient plus nombreux que les systèmes non-linéaires dans la nature ou dans la société, bien au contraire. Mais jusque-là, même si on savait que la proportionnalité et l'additivité étaient des propriétés plutôt rares, c'étaient les seules qu'on savait traiter mathématiquement et elles en étaient devenues universelles, elles étaient les bases de tous nos raisonnements et, plus fondamentalement de notre logique.
La science se comporte souvent comme l'ivrogne de la blague, qui cherche ses clefs sous le réverbère, parce que c'est le seul endroit où il y ait de la lumière. C'est pourquoi, pendant très longtemps, on a dû recourir à des simplifications pour étudier ces équations dans des conditions de linéarité (et n'oublions pas que les équations intégrables, qui ont permis d'envoyer des hommes dans l'espace ont fait la preuve de leur efficacité). La proportionnalité entre les causes et les effets, c'est ce que l'on apprend toujours depuis la maternelle, et cela joue bien au delà des mathématiques, puisque nous sommes toujours convaincus que plus notre effort sera grand, mieux l'effet désiré sera atteint, même si, de façon répétée, nous obtenons l'effet inverse (et ce ne sont pas les parents dont les enfants font le contraire des injonctions si souvent répétées qui me contrediront).
Donc ce n'est que récemment – depuis près d'un demi siècle – qu'on a su maîtriser mathématiquement ces systèmes dynamiques non-linéaires. Et manifestement, il faut beaucoup de temps, comme nous le verrons (Une pensée façonnée par la linéarité) pour que ce qui est devenu trivial pour les mathématiciens, de nombreux physiciens et certains ingénieurs, passe dans les autres domaines où les équations linéaires et plus généralement la linéarité, façonnent le raisonnement depuis des siècles. Mais ce retard a aussi d'autres causes, moins évidentes a priori, des causes économiques (voir Le contexte économique et politique) et des causes idéologiques, liées à la pensée libérale dominante (voir Le contexte idéologique).