De façon fondamentale, les sciences des systèmes complexes concernent des systèmes, simples ou compliqués, au sein desquels certaines au moins des interactions entre les éléments sont non-linéaires. Or, nous avons vu aussi que la non-linéarité a d'abord été ignorée, car les mathématiques étaient dépourvues des moyens de l'aborder. Le monde apparaissait comme entièrement linéaire, c'est-à-dire que proportionnalité et additivité semblaient la règle et faisaient partie de la logique. La mécanique classique traite précisément de ces interactions linéaires (1) et, quitte à utiliser des simplifications linéarisantes, la physique et l'ingénierie ont réussi pendant très longtemps à utiliser les mathématiques linéaires pour expliquer le monde et pour le transformer par des techniques efficaces de plus en plus poussées. Il n'est donc pas étonnant que toute la pensée, savante comme profane, ait été façonnée par cette linéarité. C'est la pensée normale, logique, celle de la rationalité cartésienne, de la physique newtonienne, celle qui a été la plus largement répandue dans les sciences jusqu'au siècle dernier, celle qu'on enseigne toujours et qui, nous le verrons dans Pensée du complexe contre pensée unique est aussi le support de l'idéologie dominante. C'est à la fois la pensée scientifique et celle du bon sens rationnel. On peut y voir un bassin d'attraction d'où il n'est pas aisé de sortir pour gagner celui de la non-linéarité et du complexe.