Lors du colloque de Cerisy (déterminismes et complexités) en 2004, les participants n'avaient pas tous la même position sur la question, que les organisateurs présentaient ainsi :
Pour les systèmes complexes, le non-déterminisme n'est pas synonyme d'imprévision radicale. Certes, la prédiction parfaite de ce qui va arriver au sens de Laplace, ne peut être faite en certitude et dans le détail. Mais l'idéal serait de prévoir en probabilité ce qui peut arriver, comme le fait l'équation de Schrödinger (1). Chaque fois que cet idéal n'est pas accessible, il faudra – à nouveau idéalement – être capable de préciser quelle est la nature des incertitudes qui demeurent. Et ces incertitudes pourront aller jusqu'à l'imprévision radicale. (2)
(1) Autrement dit, au lieu de prévoir ce qui doit être, on prédit ce qui peut être.
La notion de déterminisme non-prédictible, me paraît être celle qui résume le mieux les acquis des sciences du complexe à ce sujet (2). L'incertitude devient un élément avec lequel la science doit compter, sans pour autant rejeter tout déterminisme, qui doit cependant à son tour se transformer en l'incorporant.
(2) Ce qui cependant n'épuise pas toute la question, car il reste le rôle de l'aléatoire, du bruit.
Mais comme le complexe, notamment à travers l'emploi du chaos déterministe comme méthode d'étude ou comme métaphore, a très vite glissé des sciences de la nature aux sciences de la société et par le biais de médias, au grand public, le pas fut, là encore, vite franchi entre cette position épistémologique, qui admet qu'un déterminisme puisse être non prédictible et toutes sortes d'idéalismes niant la matérialité et la connaissabilité du monde (voir aussi Matérialisme et idéalisme dans les sciences du complexe). Mais, boucle de rétroaction manifeste, tous ces mésusages ont contribué à freiner le développement des sciences du complexe, au sein des communautés scientifiques elles mêmes.
Pour autant le matérialisme (3) qui fonde la science telle que la majorité des chercheurs l'entendent, base notamment de la répétabilité des expériences, est-il nié par un formalisme non-linéaire ? La conception d'états multistationnaires et de comportements chaotiques, les notions d'émergence, d'auto-organisation, menacent-t-elles la science ? La position résumée par le terme déterminisme non prédictible, qui modifie la nature du déterminisme serait elle irrationnelle ? Le démon de Laplace perd un pouvoir qu'il n'avait d'ailleurs jamais eu, et la science peut explorer les immenses territoires de la non-linéarité restés vierges jusque là, sans pour autant abandonner ceux, plus restreints, de la linéarité. Je retrouve ici la position exprimée par Paul Langevin dans le débat sur le déterminisme en physique :
(3) Je ne reprends pas ici la distinction entre matérialisme et réalisme.
Aujourd'hui on parle de « crise du déterminisme » alors qu'au vrai, la détermination objective des faits est mieux connue qu'elle l'était hier. Certes, à mesure que notre connaissance du réel progresse, nous sommes amenés à modifier la conception que nous nous faisons du déterminisme. (4)