chapitre3b Les trois thèses de Boris Hessen

Le samedi 4 juillet 1931 au matin, dans une salle du Musée des sciences de Londres, une séance supplémentaire du deuxième congrès international d'histoire des sciences fut consacrée aux dix présentations de l'importante délégation soviétique. Consacrée est un euphémisme, car tout y fut fait pour que ces présentations soient bâclées, peu écoutées, et perturbées. Ce fut grâce à l'aide des scientifiques communistes anglais qu'elles furent traduites à la hâte en anglais et publiées quelques jours après la séance, dans un recueil intitulé Science at the crossroad. Pourtant l'une d'elle au moins, Les racines sociales et économiques des Principia de Newton, présentée par le physicien et philosophe des sciences soviétique Boris Hessen, devait avoir un retentissement large et durable. Elle a été traduite, commentée, et publiée en français récemment (1).

Dans l'introduction de cette édition, Serge Guérout distingue trois thèses dans la présentation de Boris Hessen dont la première surtout allait être retenue et développée par la suite, essentiellement par les historiens des sciences.

 

chapitre3b  L'évolution des sciences est liée à la structure des forces productives

La première thèse de Boris Hessen stipule que l'évolution des sciences est profondément liée à la structure des forces productives, donc au contexte économique dans lequel elles se pratiquent. Ainsi, le génial Newton, doit moins à la pomme qu'aux questions que la bourgeoisie montante lui posait, questions accumulées à travers les pratiques indispensables au développement du commerce et de l'industrie naissante : problèmes tous mécaniques.

chapitre3b L'évolution des sciences est liée au contexte idéologique

La deuxième thèse se rapporte à l'importance du contexte idéologique. L'idéologie des savants (aujourd'hui nous dirions des scientifiques et ajouterions des ingénieurs et techniciens), en rapport avec l'époque et les conditions sociales joue un rôle important dans leurs découvertes. L'idéologie de Newton, « représentant typique de la bourgeoisie montante » en Angleterre au milieu du XVIIe siècle est le fruit d'un compromis, religieux et politique, entre les anciens propriétaires féodaux et cette bourgeoisie montante, débouchant sur une monarchie constitutionnelle, et sur une certaine tolérance religieuse. Ce compromis a une traduction philosophique, nette chez Newton, entre matérialisme et idéalisme, traduction philosophique qui a une incidence directe sur ses théories scientifiques.

chapitre3b La dialectique matérialiste peut contribuer à l'évolution des sciences

La troisième thèse enfin, la plus oubliée et méconnue, insiste sur l'utilité de la dialectique matérialiste pour comprendre que la matière ne peut être pleinement conçue que dans ce que Hessen désigne comme ses mouvements et que nous appellerions maintenant ses transformations. Contrairement à Newton, ou même à Descartes, qui pensent que :

chapitre3b L'impact des thèses de Hessen

En dépit des conditions assez rocambolesques dans lesquelles se sont déroulées les communications de la délégation soviétique, l'exposé de Hessen semble avoir eu un écho important et durable, quoique le plus souvent indirect, car Hessen lui-même, qui allait être assassiné dans les geôles staliniennes cinq ans plus tard, fut relativement oublié, en France tout au moins, jusqu'à cette publication récente. Ce court texte, illustre de façon percutante l'apport d'une pensée matérialiste et dialectique à l'étude des multiples facettes de l'évolution des sciences.