chapitre1c auto-organisation et émergence

Il faut insister aussi sur le fait que les systèmes naturels, même à l'état stationnaire, ne sont généralement pas à l'équilibre. Par exemple les concentrations des différentes espèces chimiques confinées dans un volume peuvent parfaitement rester constantes alors qu'une multitude de réactions chimiques consomment ou produisent ces espèces qui, de plus, peuvent quitter ou au contraire gagner le volume au travers de la surface qui le délimite. Dans l'état stationnaire de non-équilibre tous les processus se compensent ; à l'équilibre ils sont tous, séparément, arrêtés. Ainsi un être vivant adulte, dont le poids et la forme ne changent pas, est dans un état stationnaire, l'équilibre n'est atteint qu'à la mort. Les comportements caractéristiques des systèmes dynamiques non-linéaires sont donc aussi ceux qu'étudie la dynamique des systèmes loin de l'équilibre, ou structures dissipatives que Prigogine a découvertes et popularisées et qui lui a permis d'importer la notion fondamentale de la flèche du temps (ou historicité) au sein même de la physique (1).

Jusqu'ici, je n'ai pas envisagé la dimension spatiale, comme si les systèmes étaient uniformes dans l'espace, les variables ayant la même valeur en tout point du volume du système. L'uniformité d'un système hors équilibre n'est cependant raisonnable que si le système est petit ou si on le force à être homogène (si on agite un liquide par exemple). Dans les autres cas, l'espace et les phénomènes de diffusion doivent être pris en compte (2). Là encore, des bifurcations peuvent se produire dans les systèmes non-linéaires. Prenons l'exemple, d'un récipient où se déroule une réaction chimique (la réaction désormais célèbre de Belousov-Zhabotinsky). Si on maintient le système hors équilibre, en ajoutant progressivement l'un des réactifs, on voit s'établir, dans certaines conditions, après un point de bifurcation, une cohérence globale dans le temps et dans l'espace au niveau des différents éléments du système (3) : certaines molécules réactives se concentrent pour former des ondes progressives en spirale ou d'une autre forme dépendant de la forme du récipient contenant le système. C'est ce qu'on dénomme auto-organisation : certaines propriétés globales (ici les spirales) apparaissent dans un système, sans que les propriétés intrinsèques des parties constituantes (les réactifs et les produits de la réaction), ni la nature de leurs interactions (les réactions chimiques) n'aient changé. Seules ont changé les répartitions dans l'espace des interactions entre ces parties. Cette réaction a pu être modélisée par des équations mathématiques nommées équations aux dérivées partielles dont les solutions graphiques, obtenues par ordinateur ressemblent à s'y méprendre aux configurations observées expérimentalement. Un embouteillage, avec ses nœuds (où les véhicules sont tous à l'arrêt) et ses ventres (où la circulation reprend perdant un court moment), est aussi un exemple d'auto-organisation. Ces propriétés globales, dont l'apparition dépend des conditions (ici la concentration des diverses molécules ou des voitures) et dont la configuration dépend aussi de l'environnement (forme du récipient dans le cas de la réaction chimique, largeur de la route dans celui de l'embouteillage), représentent un exemple type d'émergence, qui est, pour certains, la caractéristique même de la complexité. L'émergence se manifeste à un niveau global, mais résulte de relations entre les parties au niveau local. Un ordre global émerge du désordre local. Cela permet de définir la notion de niveau où le tout (niveau global) n'est pas égal à la somme de ses parties. Mais ces notions font l'objet d'un considérable débat idéologique que nous analyserons dans Matérialisme et idéalisme dans les sciences du complexe.

 

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