Philosophe/sociologue/anthropologue, Edgar Morin, a construit ce qu'il appelle la pensée complexe, à travers une œuvre considérable (1) qu'il n'est pas question d'analyser ici. Il en a présenté une première mouture, dans un ouvrage de 1982 qui a fait date Science avec conscience (2). Et, plus récemment il en a livré un très bref résumé (3) sur lequel je vais m'appuyer pour une présentation encore plus compacte, où je veux simplement mettre en regard cette pensée avec les autres aspects de la révolution du complexe.
(1) Le lecteur peut se référer à La complexité d'Edgar Morin in Sciences Humaines, hors-série, spécial n° 18, mai-juin 2013, qui présente l'immense œuvre maîtresse de l'auteur (La méthode, ouvrage en 6 volumes et 2000 pages).
Morin présente sa pensée complexe comme bâtie en 3 étages.
D'abord trois théories :
– La théorie de l'information, qui lui « permet d'entrer dans un univers où il y a à la fois de l'ordre, du désordre, et en extraire du nouveau »;
– La cybernétique, à laquelle il emprunte les idées de rétroactions, négative avec l'homéostasie et positive où il ne voit que l'amplification ;
– La théorie des systèmes, basée sur le fait que « le tout est plus que la somme des parties » (4), qui hiérarchise les niveaux d'organisation à travers la notion d'émergence.
Ce premier étage lui fournit la notion d'organisation.
À cette première couche, il ajoute l'apport de divers courants des sciences des systèmes complexes, von Neumann, von Foerster, Atlan et Prigogine. Il en retient d'abord la notion d'incertitude et de l'ordre issu du désordre qu'il résume par la formule : ordre/désordre/organisation.
Ce deuxième étage lui procure la notion d'auto-organisation.
À quoi il ajoute encore trois principes qui lui sont propres :
– Le principe dialogique qui unit deux principes antagonistes qui sont indissociables et indispensables pour comprendre une même réalité (5) ;
– Le principe de récursion, ou boucle génératrice où les produits et les effets sont eux-mêmes producteurs de ce qui les produit, comme l'être humain qui produit la société et est produit par elle ;
– Le principe hologrammatique pour lequel le tout contient les parties et les parties contiennent le tout (6), comme les cellules différenciées contiennent le génome de tout l'organisme, lui même constitué de cellules.
(2) MOE00 : Edgar Morin, Science avec Conscience, Fayard, 1982, ISBN : 2-02-012088-7 pour la ré-édition 1990
(3) MOE01 : Edgar Morin et Jean Louis Lemoigne, « Chapitre IV : La pensée complexe, une pensée qui se pense » dans L'intelligence de la complexité, L'Harmattan, 1999, ISBN : 2-7384-8085-3
(4) Plus exactement, il montre que le tout peut être plus ou bien moins que la somme des parties, autrement dit la formule exacte doit être « le tout est différent de la somme des parties ». MOE02 : Edgar Morin, La méthode : la nature de la nature, Le Seuil, 1997, ISBN : 2-75-784514-4 pour la ré-édition 2014
(5) Cette notion me semble très proche de celle de contradiction non antagonique décrite par Lucien Sève, (cf Typologie des contradictions dialectiques) L'exemple que tous deux donnent est celui de la dualité onde/particule de la lumière.
(6) Principe là encore peu différent de l'unité/identité
dialectique des contraires.