Pour aborder la question des contradictions dialectiques, il est nécessaire de lever une ambiguïté à leur propos. Dans la mesure où Marx s'est attaché essentiellement à travailler la contradiction antagonique entre bourgeoisie et prolétariat, de nombreux auteurs partagent et propagent la conception réductrice selon laquelle une contradiction dialectique ne correspondrait qu'au seul cas où les contraires sont incompatibles à terme. Dans ce cas la contradiction est dissymétrique, l'un des contraires domine l'autre, et la résolution de la contradiction se fait par son dépassement en un terme supérieur, supprimant les deux contraires en tant que tels. Lucien Sève a clairement montré (1) que ce type de contradiction antagonique, n'est pas le seul possible :
(1) SEL00 : Lucien Sève, Janine Guespin-Michel, Roland Charlionet, Philippe Gascuel, François Gaudin, José Gayoso, Camille Ripoll, Émergence, complexité et dialectique, Odile Jacob, 2005, ISBN : 978-2-738116-26-0 p. 92-125.
Est non antagonique, la contradiction dans laquelle chaque contraire nie seulement son identité avec l'autre contraire. C'est pourquoi son développement suppose seulement la séparation transitoire et relative des contraires au sein de leur unité. (2)
Il divise même les contradictions non-antagoniques (symétriques) en deux classes : celles qui correspondent à l'exemple fétiche de Hegel du chêne et du gland, où les contraires se succèdent dans le temps et se génèrent l'un l'autre, ce que Sève nomme déploiement embryogénique, et une autre, où les contraires coexistent dans leur unité, en une complémentarité récurrente, en un fonctionnement cyclique (3). L'exemple paradigmatique de ce type de contradiction est la dualité onde/corpuscule, propriétés à la fois opposées et indissociables, de la lumière.
Et pour terminer, il faut toujours se garder d'une interprétation naïve ou dogmatique :
Bien entendu, ce n'est pas notre logique dialectique qui est dans les choses (on aurait là une niaise variante subjective d'idéalisme); ce qui est dans les choses, c'est ce que nous pouvons appeler une dialecticité que re-produit de façon approximative et incomplète la pensée dialectique, dialecticité dont l'existence objective est attestée par la périodique entrée en crise des représentations d'entendement. (4)