chapitre9d De la biologie moléculaire aux biotechnologies (1975-1989)

On peut distinguer trois phases dans l'histoire de la biologie moléculaire des années 1970 à 2000, qui illustrent l'implication croissante des pressions économiques dans le débat épistémologique en faveur du tout génétique, pointe avancée du réductionnisme en biologie.

Entre 1975 et 1989, la biologie moléculaire s'est développée à une vitesse foudroyante grâce à la découverte des techniques dites du génie génétique. Jusque-là, les études génétiques avaient essentiellement concerné les bactéries, les levures et les mouches du vinaigre. Désormais on pouvait court-circuiter les lentes études in vivo, basées sur les différences de phénotype et étudier directement les gènes et leur expression, c'est-à-dire la production de protéines, chez les organismes supérieurs et bientôt chez l'homme. Il en est découlé des découvertes inattendues et fascinantes qui ont évidemment focalisé l'attention des scientifiques, comme celle du grand public, sur les gènes et fait oublier qu'une protéine ne correspond pas à une fonction (1), et encore moins à un fonctionnement. Le succès considérable et incontestable de ces méthodes s'est rapidement transformé en victoire d'un réductionnisme de plus en plus étroit sur les sciences de la vie. Cette première phase est principalement épistémologique.

Mais la découverte de ces techniques a aussi donné presque immédiatement naissance à ce que l'on a appelé les biotechnologies par un détournement de sens d'une branche industrielle déjà existante. Il s'agissait d'utiliser dans l'industrie pharmaceutique voire agroalimentaire, les techniques permettant d'isoler des gènes pour les faire s'exprimer (fonctionner) dans d'autres organismes, que l'on appelle maintenant des OGM, pour obtenir à meilleur coût des produits à haute valeur ajoutée, l'insuline ou l'hormone de croissance produites par des bactéries par exemple.

Il y a eu un formidable appel financier, des profits énormes ont été réalisés, y compris par les universitaires américains à l'origine de ces découvertes, des profits encore plus énormes ont été suggérés par des scientifiques qui, souhaitant avoir leur part du gâteau, se sont mis à surfer sur le système du joint venture capital ou capital risque. Pour convaincre les marchés, pour les mettre en mouvement, il était nécessaire d'avoir une théorie convaincante, donc simple. La conception du tout génétique remplit à merveille cette fonction. Est ainsi justifiée une politique de la recherche dirigée essentiellement vers l'étude des gènes permettant d'espérer des retombées rapides en terme de médicaments rentables. Les entreprises ont ainsi favorisé un type de développement scientifique, mais sans s'ingérer dans l'aspect épistémologique. Dans le même mouvement, les entreprises de matériel scientifique vont faire des progrès considérables raccourcissant de façon drastique la durée des expériences, permettant d'accumuler un nombre impressionnant de données utilisables ou tout au moins vendables par les biotechnologies, ce qui illustre les interrelations réciproques entre science, techniques et industrialisation.

En France le développement des techniques de biologie moléculaire au détriment des autres axes de recherche en biologie a été mené tambour battant dans les années 80, dans les sections des sciences de la vie du CNRS, puis à l'INSERM. Des résultats scientifiques notables sont aussi au rendez-vous et cette politique scientifique y trouve sa justification. Aussi, alors que les concepts de la complexité commencent à se développer, que les techniques de modélisation commencent à voir le jour, le vivant, objet éminemment complexe, échappe presque entièrement à ces investigations.

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