Pendant la période dite des trente glorieuses, en France, la recherche scientifique publique fondamentale (1) était indépendante de l'industrie, à la fois par son financement venant presque exclusivement de l'État et par la politique de la recherche, dirigée par le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), organisme créé après la guerre et géré démocratiquement par les travailleurs scientifiques. L'idéologie sous-jacente était que la science trouve et l'industrie applique. Cependant, la recherche industrielle était trop peu développée en France ce qui était cause d'un retard industriel (2). À partir de 1975 environ (toujours cette fameuse décennie 70-80 !), les gouvernements successifs se sont efforcés de pallier ce retard en développant les relations entre recherche publique et industrie. Cela s'est fait notamment par une diminution progressive des crédits récurrents (3) des laboratoires, les obligeant à se financer par des contrats avec l'industrie, ou par des contrats publics nécessitant l'association avec des industriels – donc sur des projets intéressant l'industrie (4). Sous des formes et à des rythmes différents le même processus avait lieu dans les divers pays d'Europe. Le grand modèle était les USA (5).
En 2000, Le conseil européen de Lisbonne lançait le concept d'économie de la connaissance et créait l'ERA (European Research Area – Aire Européenne de la Recherche) pour la mettre en œuvre. L'objectif affiché était de :
devenir [d'ici à 2010] l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale. (6)
Il s'agissait de formaliser et systématiser ce qui avait commencé depuis une vingtaine d'années et d'accélérer ces transformations en tournant les diverses stratégies de résistance des scientifiques, attachés à l'autonomie de la science. À cette fin l'ERA a utilisé un outil déjà existant, les Programmes cadres de la recherche et développement (PCRD). En 2002, démarre le 6ème PCRD, auquel est dévolu le rôle d'outil privilégié pour la construction de l'ERA, pour la mise en place de la politique européenne de la recherche, telle que définie à Lisbonne.
Le 6e PCRD est un texte énorme, qui s'articule autour de sept thèmes, dont la plupart concernent les sciences « dures ». Il comprend la création de réseaux d'excellence (très gros regroupements de scientifiques européens autour de thèmes définis) et des appels d'offres pour des programmes intégrés. Ces programmes de recherche, élaborés par la commission, sous la surveillance des lobbys industriels, sont destinés à servir de modèles en Europe. Il s'agit de contrôler et enrôler la connaissance, (identifiée essentiellement à la science et à la recherche scientifique) sous la bannière de la guerre économique que se livrent les entreprises capitalistes et qu'elles nomment la compétitivité. L'étude des projets contenus dans ces appels d'offre donne un aperçu des directions que la commission européenne veut voir prendre à la recherche.
(2) Il est peut-être utile de noter qu'en France, contrairement à ce qui se fait en Allemagne par exemple, les ingénieurs et cadres de l'industrie sont formés dans les grandes écoles, alors que la recherche s'effectue surtout dans les universités.
(3) Crédits affectés régulièrement aux laboratoires en fonction du nombre de chercheurs.
(4) On se souviendra de la boutade attribuée à Hubert Curien « créer la gêne pour entraîner une mutation ».
(5) Mais aux États-Unis, les laboratoires de recherche bénéficient presque tous d'une double source de financement, une source publique par deux grandes agences de financement nationales et une source privée via des contrats avec l'industrie, qui investit beaucoup plus massivement qu'en France dans « la connaissance ». Et les crédits destinés à la recherche sont très élevés.
(6) Déclaration du Conseil Européen de Lisbonne mars 2000 (cliquer pour consulter la déclaration intégrale).