Il s'agit de la mise en place d'une tutelle scientifique par des instances, nommées et de plus en plus opaques, comme l'Agence Nationale de la Recherche (ANR), par laquelle passait et passe toujours une grande partie des fonds publics pour la recherche. Elle fonctionne par des appels d'offres pour des projets relativement courts et en grande majorité ciblés sur les intérêts de ce qui est devenu la recherche-innovation (1).
(1) Ainsi en 2007 il y a eu 373 projets financés sur des appels « blancs », soient environ 10% des projets soumis contre 1414 appels dans le cadre de projets thématiques.
De cette manière la politique scientifique assigne à la recherche publique le rôle de pourvoyeur de profit à travers ce que l'on nomme – sans la définir – l'innovation (le terme recherche-innovation a remplacé le terme recherche dans tous les discours et textes officiels traitant de recherche). Pendant ce temps d'ailleurs, de grands laboratoires de recherche et développement industriels ont été supprimés. La recherche publique a donc perdu presque toute son autonomie dans le pilotage, en même temps que les recherches libres (celles des recherches fondamentales non explicitement liées à une perspective d'innovation) diminuaient en peau de chagrin (2). Certes la Commission Européenne a créé un Conseil Européen de la Recherche finançant la recherche fondamentale la meilleure, c'est-à-dire issue majoritairement de gros laboratoire ayant beaucoup de moyens provenant de la recherche-innovation (3). De même L'ANR permettait de proposer, jusqu'en 2013 des projets non ciblés, dits blancs, Mais ils représentaient une faible proportion des crédits alloués et n'existent plus.
La nature même de la recherche a été profondément modifiée avec ces pratiques imposant des projets courts (sur 4 ans en moyenne), en lieu et place des thématiques, parfois à très long terme, de la recherche fondamentale et entraînant, en raison du faible nombre d'élus, un gâchis phénoménal du temps des chercheurs consacré à rédiger des réponses aux appels d'offres, en même temps qu'on leur demande une productivité (en termes de publications ou de brevets) accrue (4). Pire encore peut être, on demande aux chercheurs de prévoir, au semestre près, les résultats qu'ils escomptent de leurs travaux, ce qui les oblige, soit à tricher, soit à se cantonner à des recherches dont toute complexité est exclue.
Voir recherche scientifique dans le wiki du complexe
(2) Évidemment, il y a des différences selon les disciplines, en fonction notamment des besoins en crédits, et des pressions économiques.
(3) On trouvera une analyse des usages de ce terme dans GUJ02 : Janine Guespin-Michel et Annick Jacq, La science pour qui ?, Le Croquant, 2013, ISBN : 9782365120357
(4) On retrouve là, au niveau de la recherche publique le système paradoxant mis en œuvre par les méthodes managériales dans l'industrie. Voir GAV00 : Vincent de Gaulejac, Travail, les raisons de la colère, Le Seuil, 2011, ISBN : 978-2-02-103895-8.
Que ce soit au niveau européen ou au niveau français, on observe un double mouvement qui pourrait paraître contradictoire. La prise en compte de la place de la connaissance dans le développement économique conduit à une logique de développement et l'UE prône (mais sans consigne précise ni moyens pour y parvenir), de porter l'effort de recherche à 3% du PIB. Non seulement ceci n'a jamais été atteint, mais la crise de 2008 mit un point d'arrêt à cette ambition, et les mesures d'économie actuelles atteignent de plein fouet le développement de cette recherche. En revanche l'UE prône aussi une limitation (bien réelle cette fois) du développement des recherches aux seuls enjeux d'une économie de marché : l'innovation est conçue comme l'arme de la guerre économique pour la conquête de nouveaux marchés. Ainsi une logique de développement (très relatif), est contredite et entravée par une vision étriquée du rôle assigné aux développements des connaissances et par le souci impératif de réduire le coût que représentent pour les entreprises (et maintenant pour l'État), les investissements en matière de recherche (5).
(5) En France, une part importante des crédits présentés comme alloués à la recherche vont à ce que l'on appelle le « crédit-impôt recherche », attribué sans aucun contrôle aux entreprises.