Nombreux sont les systèmes complexes qui possèdent un grand nombre d'éléments, ayant un grand nombre d'interactions les uns avec les autres. Le cerveau, avec ses millions de neurones et leurs milliards d'interactions est le modèle paradigmatique de la complexité compliquée. En effet, il n'est pas seulement compliqué, il est bien complexe d'après notre définition puisqu'il présente, par exemple, un comportement de chaos déterministe repérable sur les encéphalogrammes, et qu'il est capable de bifurcations (on a montré par exemple que l'épilepsie correspond à une bifurcation vers un régime oscillant régulier de l'encéphalogramme). C'est un modèle merveilleux d'auto-organisation, puisque, comme on a pu le démontrer récemment, il n'y a pas de centre organisateur qui régule son fonctionnement.
De fait, beaucoup de systèmes compliqués présentent des interactions multiples, donc non-linéaires, donc sont des systèmes complexes, ce qui va leur conférer les mêmes propriétés que celles de systèmes complexes très simples comme ceux de l'équation de Rössler (3 variables, 3 paramètres). Inversement, un puzzle peut être très compliqué, mais il n'a qu'un seul état stationnaire et le tout est égal à la somme des parties, puisque l'image, pré-contenue dans les pièces n'est pas une propriété émergente (on pourrait la qualifier simplement de résultante).
Ce qui détermine donc la complexité par rapport à la complication, ce peut être l'existence d'interactions multiples, non-linéaires, qui confèrent à ces systèmes certaines au moins des propriétés découvertes grâce aux systèmes dynamiques non-linéaires. Ce peut être aussi l'hétérogénéité des éléments, qui peuvent interagir avec des échelles de temps très diverses, entraînant l'émergence de niveaux d'organisations différents. Ou encore :
complexité doit être compris ici comme richesse de l'information et des interconnexions, variété des états et des évolutions possibles, toutes choses bien différentes de la complication au sens de imbrication de liaisons linéaires, stables, souvent fixées de manière rigide de l'extérieur de l'organe. (1)
Un système complexe compliqué présente les mêmes propriétés dynamiques globales qu'un système complexe simple, mais il est beaucoup plus difficile à étudier, ce qui entraîne deux dérives. D'une part, et souvent en fonction des méthodes d'études qu'ils utilisent ou des systèmes qu'ils étudient, certains scientifiques réfutent l'utilisation du mot complexe pour désigner des systèmes simples, ce qui peut les empêcher d'appréhender la nature de la complexité, le rôle crucial de la non-linéarité, voire la différence profonde entre complexe et compliqué. D'autre part, la dynamique des systèmes complexes compliqués est encore difficilement accessible tant par les méthodes mathématiques, que par les simulations informatiques elles-mêmes. Ceci peut conduire au repli sur des études purement statiques, favorisées par le recours à des banques de données qui peuvent être immenses, pour stocker et gérer toutes les informations concernant un système, sans se préoccuper de la dynamique du système.
La question des réseaux, très à la mode il y a quelques années, illustre ces dérives possibles. Un réseau peut être statique (2) (une carte des interactions) ou dynamique, si on s'intéresse au fonctionnement de ces interactions. Mais la dynamique dépend de la structure, et les études des structures des réseaux on été des préalables indispensables aux études dynamiques, souvent plus difficiles (3). Si le réseau contient un très grand nombre d'éléments, on ne sait généralement pas en étudier la dynamique. Beaucoup d'études de réseaux s'arrêtent donc aux structures, études qui sont pourtant considérées comme appartenant aux sciences des systèmes complexes. En augmentant la complication, on est donc passé de systèmes caractérisés par l'existence de certaines des propriétés des dynamiques non-linéaires à des systèmes simplement caractérisés par leurs interactions multiples, considérés éventuellement de façon statique (4).
(2) BEH00 : Hugues Bersini, Des réseaux et des sciences. Biologie, informatique, sociologie ; l'omniprésence des réseaux., Vuibert, 2005, ISBN : 978-2-7117-4857-0 préfère parler de graphe et réserver le terme réseau à ceux où le temps intervient, mais cette distinction est peu passée dans l'utilisation courante.
(3) Un des réseaux les plus étudiés est le web, qui en dépit des ses milliards d'interactions présente certaines propriétés structurales simples : par exemple, on peut relier deux sites quelconques en moins de 19 clics (c'est ce que l'on appelle la propriété petit monde de certains réseaux).
(4) Nous verrons plus loin à quel point la confusion entre complexe et compliqué alimente des débats idéologiques, ou permet des dérives voire des pressions politiques et économiques.