Chaos, fractales, intelligence artificielle, pensée complexe, sciences des systèmes complexes, science des réseaux, systèmes dynamiques non-linéaires, systémique, théorie des catastrophes, théorie des niveaux, thermodynamique des structures dissipatives. Tous ces termes correspondent à des propriétés découvertes récemment, souvent indépendamment, dans des disciplines différentes, et souvent sous l'impulsion de problèmes techniques soulevés d'abord pendant la dernière guerre, puis liés aux développement des techniques et de l'organisation. Ces propriétés dépendent moins des objets concernés que de leurs interactions, de leurs rapports, et même de la manière de les envisager. Une première conséquence, puisque les interactions sont plus importantes que les objets, c'est l'aspect générique, transdisciplinaire, d'un certain nombre des concepts et des méthodes du complexe. Ce qui entraîne la nécessité d'une redéfinition des objets scientifiques, et un possible redécoupage des champs d'investigation, en fonction des divers types d'interactions mis en jeu. Ce qui entraîne aussi de nombreuses difficultés de communication, liées aux traditions et spécificités de chaque discipline. Enfin, le fait qu'un système complexe soit déterminé par les interactions entre ses éléments, les échelles de temps et d'espaces où on les étudie, et l'interdisciplinarité que leur étude exige souvent, amènent à poser la question des domaines où des concepts issus des sciences exactes peuvent être transposés, ce qui n'est pas sans soulever des polémiques.
De plus, la plupart des propriétés des systèmes complexes sont encore inhabituelles, dérangeantes, non triviales. Elles ne se conforment pas à la logique habituelle, ne sont pas accessibles par les mathématiques linéaires, ne sont pas intuitives (1). Il est souvent nécessaire, pour étudier ces interactions, de recourir à des modèles mathématiques ou à des simulations informatiques, dans des disciplines (biologie et sciences humaines) où ces méthodes ne sont pas habituelles. D'ailleurs ces outils sont nouveaux, et nécessitent eux-mêmes de nombreuses recherches.
Toutefois, et en dépit de ces difficultés, l'idée grandit que les systèmes naturels ou sociaux sont majoritairement des systèmes complexes, et peuvent être étudiés comme tels, et non en les simplifiant à l'extrême comme on était obligés de le faire lorsque manquaient les méthodes appropriées.
Les sciences des systèmes complexes concernent donc les domaines où des modélisations mathématiques ou des simulations informatiques sont utilisables et nécessaires. Leur présentation rapide fait l'objet de ce chapitre. Le chapitre suivant abordera les transformations apportées par la révolution du complexe aux formes de la pensée.
(1) L'intuition étant constituée par l'accumulation des expériences ou conceptualisations préalables, les révolutions scientifiques sont presque par définition non intuitives.
Ahmed Djebbar - Professeur émérite d'histoire des mathématiques à l'université des sciences et technologies de Lille.
Al-Khârizmî, père de l'algèbre
Vidéo extraite de l'exposition Voyage en Mathématique créée par Fermat Science www.fermat-science.com
D'entrée de jeu il est indispensable de lever la confusion entre complexe et compliqué. Le contraire de compliqué est simple. Complexe, qu'il s'agisse de l'adjectif ou du nom, n'a pas de contraire en français, (j'utiliserai simplifiant ou linéaire selon les cas)(2). Un système complexe peut être simple, c'est-à-dire comprendre peu d'éléments ou peu d'interactions, ou compliqué s'il en comprend beaucoup. Il est vrai que la plupart des systèmes naturels compliqués, sont aussi complexes, c'est-à-dire que non seulement ils contiennent un grand nombre d'éléments, mais qu'ils peuvent avoir entre eux un grand nombre d'interactions. Nous verrons que, pour certains auteurs, seuls les systèmes compliqués peuvent être complexes. Cette conception provient souvent de la nature des problèmes technologiques qui ont nécessité la mise au point de certaines des méthodes liées au complexe. Mais, et je montrerai pourquoi, je ne partage pas cette conception.
(2) Certains auteurs ont proposé d'utiliser le terme simplexe comme contraire de complexe, mais comme il a une signification mathématique très différente, (un « triangle » à n dimensions), cela ne me semble pas très pertinent ici.
Comme l'écrivait déjà Gleick en 1987 :
Lors des 20 dernières années des physiciens, des mathématiciens, des biologistes et des astronomes ont inventé des idées nouvelles. Des systèmes simples engendrent un comportement complexe. Des systèmes complexes engendrent un comportement simple. Et plus important les lois de la complexité sont universelles.(3)