de Poincaré à Lotka-Voltera
Sans faire un historique exhaustif des découvertes qui ont dessiné le paysage des sciences du complexe, j'en esquisserai à grands traits quelques figures pour donner à voir la lente progression dans le temps jusqu'à l'explosion des années 70, le rôle joué par l'informatique et surtout la grande diversité des approches, des disciplines, des interdisciplinarités et des pays (1).
On date souvent le début de cette histoire de 1888, lorsque le mathématicien Henri Poincaré en travaillant sur la stabilité du système solaire, ou plus exactement sur l'influence possible de la Lune sur la stabilité de la trajectoire de la Terre autour du Soleil, découvre une famille de comportements de courbes extrêmement difficiles à décrire et à représenter, que l'on appellera, bien plus tard, le chaos déterministe.
Voir pluridisciplinarité, transdisciplinarité, attracteur étrange, modélisation dans le wiki du complexe
(1) L'histoire des sciences du complexe est souvent biaisée par le fait que de très importants livres de vulgarisation américains, présentant ces questions de façon très vivante, ont été des best sellers, mais font la part beaucoup trop belle aux chercheurs US : GLJ00 : James Gleick, La théorie du chaos, Flammarion, 1991, ISBN : 2-08-081219-X, LER20 : Roger Lewin, La complexité : la théorie de la vie au bord du chaos, inter éditions, 1994, ISBN : 978-2-7296-0478-3
À la fin du XIXe siècle, un autre mathématicien français, Jacques Hadamard, découvre une propriété qui ne sera vraiment comprise que bien plus tard également, la sensibilité aux conditions initiales. Ces découvertes mathématiques, très compliquées, vont rester presque ignorées, du moins en occident, pendant près de 60 ans. Pourtant, une importante école de mathématiciens soviétiques a travaillé dans les domaines dynamiques non-linéaires et stochastiques entre 1927 et 1967(2), (Kolmogorov, Liapounov, Sinaï et bien d'autres) mais elle reste encore largement ignorée dans le monde occidental, où l'idée d'un intervalle « vide » de 60 ans, lancée par le journaliste scientifique américain Gleick(3) a encore cours.
(2) DIS00 : Simon Diner, « Les voies du chaos déterministe dans l'école russe » dans Chaos et déterminisme, Dahan Dalmedico et alii, Le Seuil, 1992, ISBN : 2-02-015182-0, pp. 331-368.
(3) GLJ00 : James Gleick, La théorie du chaos, Flammarion, 1991, ISBN : 2-08-081219-X
Par ailleurs, divers auteurs dans des disciplines éloignées et s'ignorant mutuellement peuvent, rétrospectivement, être aussi considérés comme des précurseurs. En 1900, le physicien Henri Bénard observe la formation de cellules de convection apparaissant dans un liquide chauffé dans certaines conditions, mais cette observation ne sera comprise que bien plus tard pour devenir, sous le nom de cellules de Bénard, un exemple type d'auto-organisation. En 1917 D'Arcy Thomson(4) publie On life and forms, un énorme ouvrage dans lequel il montre que les formes du vivant obéissent à des contraintes géométriques semblables à celles observées pour des phénomènes physiques. En 1925-1926 deux mathématiciens (l'un anglais, l'autre français) proposent indépendamment des équations dites de Lotka-Volterra (5), ou modèle proie-prédateur, qui sont encore aujourd'hui utilisées et améliorées, pour décrire la dynamique complexe (oscillante voire chaotique) de systèmes biologiques dans lesquels interagissent un prédateur et sa proie.