Les critères marchands du travail sont remis en question par la révolution informationnelle, car la valeur marchande elle-même peut perdre sa pertinence. En effet, la valeur (d'usage) créée est de plus en plus constituée d'idées et d'informations. Or l'idée échappe à la logique marchande : si vous vendez une idée à un tiers, vous continuez à la posséder. À l'heure actuelle on voit se développer toutes sortes de ruses pour tourner les barrières de propriété intellectuelle, en même temps que se développe la pratique des logiciels libres (1). Mais cela s'oppose à la propriété capitaliste et de gros efforts sont faits par les puissances économiques pour limiter au maximum ces processus de circulation et de partage de l'information, depuis le niveau de l'entreprise jusqu'à celui de la recherche scientifique où la multiplication des brevets s'oppose à la libre circulation des idées, pourtant nécessaire à toute recherche.
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(1) Un logiciel libre est bien plus qu'un logiciel gratuit. C'est une œuvre qui devient obligatoirement collective dès lors que chaque utilisateur peut s'en emparer pour l'améliorer. C'est donc aussi un objet complexe, fruit de multiples interactions, non marchandes car bénévoles.
Mais il y a plus. Comme le montre aussi Lojkine, l'automatisation n'est pas simplement le remplacement de l'humain par la machine. Pour être efficace, elle doit être une articulation entre celui-ci et la machine, ce qui requiert une main d'œuvre de plus en plus instruite, donc de plus en plus capable (et désireuse) de prendre part non seulement au fonctionnement mais à la gestion des entreprises. Les OS de l'usine Taylorisée disparaissent rapidement au profit de techniciens formés à Bac plus trois. En même temps, les potentialités techniques ne nécessitent plus l'unité de lieu, et les entreprises passent d'une organisation hiérarchique à une organisation en réseaux décentralisés, qui pourrait aller vers l'auto-organisation. C'est en cela que la révolution informationnelle porte en elle les potentialités d'une véritable révolution civilisationnelle. L'ordinateur peut devenir un instrument de transformation du monde, matériel et humain (2). Mais c'est aussi en cela qu'elle s'oppose encore plus frontalement à la logique capitaliste, basée sur la propriété des moyens de production, donc la séparation complète entre la direction/prise de décision et l'exécution, donc la hiérarchie.
L'irruption des NTI et les exigences nouvelles de décloisonnement et d'accès direct à toutes les informations circulant dans l'entreprise risquent de se heurter aux verrous de la direction stratégique qui n'entend pas partager sa « vision d'ensemble » de la politique de l'entreprise… (3)
Ainsi la révolution du complexe s'insère dans un macro système en crise parce que le fonctionnement de la société au niveau de la planète s'appuie sur un système scientifique, technologique, économique en continuelle complexification mais basé sur un principe unique et dépassé : l'échange marchand, simpliste, réducteur et hiérarchique, s'opposant à la réalité sociétale en marche. On est bien là au cœur de la contradiction déjà vue par Marx entre le progrès des forces productives qui génèrent et nécessitent la complexité au sein même de l'entreprise – l'horizontalité, la multiplicité des interactions multilatérales, le partage – et le maintien du tout marchand et des rapports de production arc-boutés sur la conservation de ces valeurs passées – hiérarchie, verticalité – tout en cherchant à récupérer au maximum les profits considérables que peuvent procurer ces nouvelles technologies. C'est une des bases de la crise systémique que nous vivons.