Dans tous les domaines, si les positions holistes sont tout aussi insatisfaisantes et unilatérales que les attitudes réductionnistes, les méthodes analytiques de même que les méthodes globales restent importantes pour donner leur substance aux systèmes dont on veut étudier la dynamique complexe. Statique/dynamique, pourrait ainsi être d'avantage une différence méthodologique qu'une contradiction. Le complexe n'existe réellement que dans le dynamique, même si celui-ci est quelque fois hors de portée de nos moyens actuels d'étude, mais il nécessite le plus souvent une étape statique de description. Les sciences des systèmes complexes partagent avec le holisme la nécessité de s'intéresser aux dynamiques et à la globalité des systèmes, avec le réductionnisme l'utilité d'analyser la composition de ces systèmes et avec la dialectique, la nécessité de travailler sur les rapports (interactions).
C'est pourquoi, les mêmes causes qui poussent les uns à accueillir avec enthousiasme les sciences du complexe, vont pousser les autres à les refuser, à les combattre, ou à les biaiser, en s'en tenant à l'une ou à l'autre des positions antagonistes.
Nous avons vu que les réductionnistes, dans un premier temps, ont tenté, aidés en cela par nombre de holistes, d'amalgamer holisme et sciences du complexe et ont donc refusé le complexe. Puis, lorsque la poussée scientifique devint trop forte, ils ont tenté de l'affadir, de le biaiser. Je prendrai l'exemple de la biologie des systèmes, dont le nom même indique une volonté d'approche systémique, globale. Mais, après une période, très courte, où les systèmes biologiques ont pu être aussi envisagés dans leur dynamique, elle s'est souvent restreinte, sous la poussée de la conception venue des USA et de certains lobbys informatiques, en une énorme accumulation de données (1), leur classement dans des banques de données, voire la constitution de cartes d'interactions, mais sans l'étude dynamique de ces interactions. On retrouve là, le remplacement du complexe par le compliqué, qui exclut la non-linéarité. De leur côté, les holistes contribuent aussi à restreindre la portée du complexe : en réfutant l'idée que le complexe puisse être simple et compréhensible, ils rejettent les systèmes dynamiques non-linéaires hors du domaine de la complexité.
(1) Accumulation rendue possible par l'utilisation de méthodes et machines sophistiquées dites à haut débit qui permettent d'analyser par exemple toutes les macromolécules d'une cellule individuelle.
L'opposition réductionnisme/holisme se retrouve, sous des formes spécifiques, dans nombre de disciplines. Dans tous les cas, elle empêche, défavorise ou détourne l'adoption des concepts du complexe, et la reconnaissance du rôle fondamental de la non-linéarité. C'est pourquoi les sciences du complexe sont encore obligées de se réfugier dans des instituts spécialisés (les instituts des systèmes complexes) au lieu d'être parties prenantes des disciplines, comme cela se passe en mathématiques, ou en physique statistique.