Dans un deuxième temps, et c'est le plus important, la dialectique peut aider à penser le complexe. Lucien Sève écrit encore :
Tant qu'à faire de la dialectique, bien mieux vaut que ce soit en le sachant, donc en pouvant bénéficier critiquement de son immense héritage. (1)
(1) SEL00 : Lucien Sève, Janine Guespin-Michel, Roland Charlionet, Philippe Gascuel, François Gaudin, José Gayoso, Camille Ripoll, Émergence, complexité et dialectique, Odile Jacob, 2005, ISBN : 978-2-738116-26-0 . p. 93.
On aborde ici une question cruciale : en quoi est-il utile pour un scientifique de savoir pourquoi il pense de telle ou telle manière et comment ? C'est une question de fond. La séparation académique complète (2) entre sciences exactes et épistémologie, histoire, philosophie et sociologie des sciences, a fait de cette question un non-dit, une tâche aveugle de la pensée des scientifiques de la nature. Se poser cette question, c'est évidemment y répondre tout en sortant de cette division contienne des sciences. Quel scientifique voudrait sciemment ignorer pourquoi il pense comme il le fait, ou plus exactement accepter qu'il ne pense pas sa science ?!
Une pensée dialectique est suffisante pour éviter tant l'anathème que l'adhésion totale au réductionnisme comme au holisme, et pousse à en rechercher la « synthèse convenable ». Mais si elle dit ce qui est logique, donc suggère dans quelle direction il est envisageable de chercher, elle ne dit pas, elle ne peut pas dire, comment. Comme l'annonçait Marcel Prenant, les progrès mêmes de la science, vont permettre de fournir les méthodes scientifiques nécessaires à prouver cette synthèse. Et Edgar Morin de renchérir :
Ce sont les développements scientifiques les plus avancés qui nous poussent à sortir des alternatives lamentables comme ordre/désordre, (et réductionnisme/holisme, analyse/synthèse etc.), dans lesquelles s'enferment et nous enferment les simplifications autoritaires. Il s'agit, plutôt que d'opter pour deux ontologies ou deux logiques, d'ouvrir la pensée complexe du réel. (3)
Dans l'ouvrage de 2005 cité, qui résume le travail de Lucien Sève avec un groupe de scientifiques de l'université de Rouen, le philosophe montre comment la logique dialectique permet de penser ces concepts apparemment dérangeants, comme le tout qui est plus que la somme des parties, le déterminisme non prédictif, ou la science du singulier.
C'est pourquoi l'introduction des sciences des systèmes complexes aurait tout à fait intérêt à se doubler d'une connaissance des écrits des philosophes et des scientifiques qui se sont occupés de dialectique et de dialectique matérialiste. De Lucien Sève encore :
S'il est donc une province de la science actuelle où la familiarité avec la dialectique peut avec quelque vraisemblance être tenue pour obligatoire, c'est bien la non-linéarité. (4)
Et inversement, si la logique dialectique, telle qu'elle peut se présenter aujourd'hui, permet déjà de penser les sciences de la complexité, n'est-il pas nécessaire que cette révolution scientifique enrichisse en retour (dialectiquement) la logique dialectique ?